L'existence d'Auroville menacée ?
Résumé
Dernière mise à jour : 15 janvier 2024
Pour comprendre la crise actuelle, il faut savoir que, jusqu'à présent, tout ce qui a été fait à Auroville a été organisé par ses résidents : ils choisissent leurs comités, suivent différents processus de décision et cherchent des moyens de progresser tout en maintenant l'unité. La prise de décision autoritaire a été rejetée par Auroville, car elle sape l'esprit collectif qui sous-tend tout le reste et va à l'encontre des valeurs et des principes mêmes sur lesquels Auroville a été fondée.
Cette note décrit la crise profonde que traverse cette communauté habituellement paisible, dédiée à l'unité humaine dans la diversité - une incarnation vivante de Vasudhaiva Kutumbakam, « le monde est une seule famille ». Elle est suivie d'une deuxième partie qui vise à réfléchir à la façon dont les habitants ont fait preuve de résilience et de créativité contre vents et marées, afin de poursuivre le développement de la ville conformément à sa Charte et à sa vision d'origine.
Introduction
Depuis plus de deux ans, Auroville fait parler d'elle en raison des troubles et des défis qui ont récemment secoué cette communauté internationale située dans le sud de l'Inde.
Fondée en 1968 par Mirra Alfassa, plus connue sous le nom de la Mère, Auroville est un projet basé sur la vision du grand sage et philosophe Sri Aurobindo. Cette expérience unique d'unité humaine attire pour la recherche et pour la visite des personnes de toute l'Inde et du monde entier.
La Fondation d'Auroville a été créée en tant que personne morale autonome en 1988 par une loi du Parlement. Se référant à la Loi de la Fondation d'Auroville, trois organismes sont censés travailler ensemble pour développer le projet d'Auroville :
- L'Assemblée des Résidents (composée des résident·e·s de 18 ans et plus) ;
- Le Governing Board (nommé pour un mandat de 4 ans par le gouvernement central de l'Inde) ;
- Le Conseil Consultatif International (éminent·e·s universitaires et doyen·ne·s du monde entier, également nommé·e·s par le gouvernement indien).
Ces trois acteurs ont généralement collaboré de manière harmonieuse jusqu'en 2021. La Loi équilibre leurs pouvoirs de manière nuancée, mais la bonne volonté de toutes les parties est nécessaire pour que cela fonctionne. C'est là que les choses se sont récemment gâtées...

Qu'est-ce qu'Auroville ?
- Une expérience d'unité humaine
- Un projet international approuvé à cinq reprises par l'UNESCO et soutenu par le gouvernement indien
- Plus de 3 000 personnes de 60 nationalités différentes
- Une communauté d'âmes qui s'efforcent de progresser grâce au karma yoga
- Une petite ville qui gère son système scolaire, ses services de santé, ses déchets...
Nouvelles nominations à la Fondation Auroville
En juillet 2021, une fonctionnaire, le Dr Jayanti Ravi, a été nommée comme Secrétaire du Governing Board de la Fondation d'Auroville. Elle a été chaleureusement accueillie par plus de 3 000 résident·e·s. Peu après, un nouveau Governing Board a également été nommé par le Gouvernement Central d'Inde.
Cette nouvelle nomination du Dr. Jayanti Ravi au poste de Secrétaire de la Fondation Auroville ('Auroville Foundation Office' - AVFO) a mis en branle un démantèlement persistant, systématique et énergique de l'essence et du fonctionnement central d'Auroville. Jusqu'à l'année dernière, tout ce qui a été réalisé à Auroville au cours du dernier demi-siècle a été organisé par ses résident·e·s, y compris la sélection des membres de ses comités, ou encore la mise en place de processus de prise de décision collective au sein de la communauté, tout en maintenant une unité collective. L'approche autoritaire et autoritariste de la nouvelle administration en matière de prise de décision est contraire à la Loi de la Fondation d'Auroville (1988), à l'esprit collectif envisagé par la fondatrice du projet, et va à l'encontre des valeurs et des principes de liberté d'expérimentation et d'autogestion autour desquels Auroville a été créée.
Voici un bref résumé des questions qui se posent actuellement.

Où se situe la menace ?
Gouvernance autonome
Vie durable
Fonds et actifs
Liberté de pensée
Sentiment de sécurité
Esprit et valeurs
Montée de l'autoritarisme
Une prise de contrôle systématique de la gouvernance
L'AVFO a systématiquement pris le contrôle de tous les principaux groupes de travail et comités internes d'Auroville qui gèrent les domaines clés de l'administration, des médias et des finances, ce qui a entraîné une concentration du pouvoir entre les mains d'une poignée de personnes qui n'ont pas été nommées par les résident·e·s et qui ne représentent pas les besoins et les aspirations de la majorité. De nouvelles décisions sont prises à huis clos, sans aucune consultation, et sont imposées en même temps que des menaces pèsent sur les moyens de subsistance des résident·e·s.
Réduire au silence l'Assemblée des Résidents
Les décisions prises par l'Assemblée des Résidents, normalement chargée d'organiser toutes les activités quotidiennes à Auroville, sont totalement ignorées. Les décisions de l'Assemblée des Résidents visant à mettre fin à ces actions de prise de contrôle ont été complètement ignorées, bien que plus de 90% des personnes votant se soient clairement et fermement exprimées afin que les processus de planification et de développement s'effectuent correctement. La Secrétaire du Governing Board prétend que ce dernier détient "l'autorité suprême d'Auroville", et les personnes qu'elle a nommées ont laissé entendre que les résident·e·s devraient simplement suivre les ordres ou partir - avant d'être expulsé·e·s.
Mise à l'écart de cadres et d'expert·e·s
Des personnes compétentes, cadres de services et de groupes clés ont été licenciées et interdites d'accès à leurs bureaux, ordinateurs et boîtes aux lettres, parfois sans avertissement ni explication, et leur source de revenus a été coupée sans remplacement ou presque. Les nominations arbitraires de personnes non qualifiées sur la base de leur affiliation à l'AVFO sont devenues la norme.
De même, des personnes auroviliennes, professionnellement expertes dans les domaines de l'architecture, de la planification, de la conservation de l'eau, du logement durable, de la régénération de la nature, du reboisement et plus encore, sont mises à l'écart et ignorées dans toutes les décisions prises dans leurs domaines d'expertise.

L'écrasement de la vie durable
Un plan "incontestable"
Depuis décembre 2021, la mise en œuvre brutale d'un plan d'urbanisme obsolète et inadapté, appelé " Auroville Master Plan, Perspective 2025 ", est actuellement menée tambour battant, sous la direction de l AVFO et associé·e·s, avec l'intervention de bulldozers de nuit, la destruction de forêts menacées et de zones de captage d'eau, et l'expulsion de résident·e·s de leurs maisons avec seulement quelques jours de préavis. La destruction massive au bulldozer et l'abattage d'arbres dans les zones de projet financées par le Gouvernement Indien ou la Commission Européenne sont devenus la norme et se poursuivent encore aujourd'hui.
Parmi d'autres problèmes, cette récente mise en application se fixe sur une Crown Road parfaitement circulaire de 17 mètres de large sans prendre en considération les impacts sociaux ou environnementaux, en ignorant les recommandations des expert·e·s d'Auroville, et en ignorant les plans alternatifs écologiques, fonctionnels et créatifs proposés par le collectif. De grandes routes radiales et un "Outer Ring Road" externe sont également imposés, sans pour autant qu'il y ait un plan de mobilité adéquat.
En outre, l'AVFO n'a pas entrepris les démarches nécessaires pour obtenir les autorisations officielles, telles que les évaluations de l'impact sur l'environnement ou les plans de développement détaillés. Les routes existantes, fonctionnelles et durables, ont été démantelées et remplacées par des dalles géantes en béton de qualité inférieure, dont l'empreinte carbone calculée est supérieure de 952% à celle des routes précédentes, et qui ne permettent pas à l'eau de pluie de s'infiltrer et de recharger les nappes phréatiques.
Les forêts, la nourriture et l'eau menacées
Dans le cadre du "développement de la Ville", de nombreuses forêts, parcs et environnements naturels préservés d'Auroville sont rasés à coups de bulldozer ou menacés d'être échangés. Certaines de ces forêts comprennent des sanctuaires qui préservent la faune et la flore d'espèces protégées, et des zones de captage d'eau qui profitent à tous les villages voisins et à la biorégion. Des propositions visant à développer la Ville tout en sauvegardant les travaux de reboisement réalisés au cours des 50 dernières années ont été formulées, mais elles sont ignorées par l'AVFO. Les récents échanges de terres ont également eu un impact sur la ferme la plus productive d'Auroville, mettant en danger l'ensemble de la sécurité alimentaire d'Auroville.


Affectation des fonds et des actifs
Mauvaise gestion des fonds et des actifs
Les fonds communaux, collectés grâce à la contribution et au travail des résident·e·s sont alloués de manière opaque par des personnes qui n'ont pas été nommées selon les procédures établies appropriées et qui refusent de rendre des comptes à l'Assemblée des Résidents. Les biens communaux, dont certains sont financés par des subventions nationales et internationales, sont réaffectés sans l'accord des parties prenantes concernées.
Dans certains cas, des soupçons de fraude financière pèsent sur l'attribution d'appels d'offres sans respecter les procédures appropriées, et des travaux de qualité inférieure ont été réalisés pour des milliards de roupies.
Les terrains d'Auroville sont en cours de vente
Les échanges et les transactions foncières se font de manière opaque et à des taux qui ont entraîné des pertes estimées à plus de 100 000 roupies pour Auroville (environ 13 millions de dollars américains). La vente des terrains d'Auroville à des prix sous-évalués soulève d'importantes questions quant à l'identité des bénéficiaires de ces transactions, ce qui laisse entrevoir la possibilité de motifs non divulgués et d'irrégularités financières. En outre, ces échanges de terrains ont été effectués sans respecter les procédures établies, en violation des directives du Ministère Indien de l'Éducation.
Bien que la Secrétaire de la Fondation d'Auroville soit chargée de la gestion des biens immobiliers, plusieurs empiètements ont eu lieu sur les terres d'Auroville sans que la Secrétaire ne réagisse. Les résidents·e·s se sont rassemblé·e·s spontanément pour faire face à ces empiètements à maintes reprises, souvent sans le soutien des autorités chargées de la protection de ces biens.
Capitaliser sur le tourisme
Plusieurs éléments semblent indiquer l'intention de l'AVFO de capitaliser sur le tourisme et d'utiliser Auroville pour générer des fonds à des fins inconnues. Parmi ces éléments, on peut citer la prise de contrôle par la force du Visitors' Center, qui accueille et oriente les touristes visitant Auroville ; la restructuration du secteur de l'hébergement d'Auroville, qui s'oriente vers la centralisation des Maisons d'hôtes d'Auroville avec le soutien du directeur d'une chaîne hôtelière internationale ; et le droit d'entrée payant pour certains espaces publics tels que Bharat Nivas qui a commencé à être exigé des touristes.


Réécrire l'histoire
Campagnes de désinformation
En janvier 2022, le service d'Auroville géré par les résident·e·s qui s'occupe des relations publiques externes (Outreach Media) a été pris de force par l'AVFO et rebaptisé "Media Interface". Depuis lors, d'incessantes campagnes de désinformation ont été menées, qui travestissent la narration des événements et dénigrent les réalisations d'Auroville au fil des décennies.
Censure
En juin 2022, plusieurs réseaux de communication interne essentiels, dont le serveur de messagerie principal de la communauté et l'Auronet (la plateforme de communication en ligne pour les résidents), ont été pris en charge par l'AVFO sous le prétexte d'identifier toute activité antigouvernementale ou antinationale - ce qui a été suivi par la suppression de commentaires et de comptes en dépit de leur respect des directives d'utilisation. Les courriels privés de centaines de ressortissant·e·s indiens·ne·s et étranger·e·s sont, encore aujourd'hui, sous le contrôle d'individus non divulgués et non réglementés disposant de tous les privilèges d'administrateur, et leurs actions ne respectent aucun code de conduite établi en matière de protection de la vie privée. Certain·e·s résident·e·s perçu·e·s comme des "opposant·e·s" ont totalement perdu l'accès à l'Auronet et à leurs boîtes aux lettres privées ou professionnelles.
Contrôler le passé
En juin 2022, les Archives d'Auroville - un service public créé et géré par les résident·e·s - ont été reprises de force par l'AVFO. Les résident·e·s craignent pour les décennies d'histoire, le matériel multimédia et les dossiers conservés par les Archives, car cette intervention permet un contrôle non supervisé du récit historique des événements passés et présents.

Perturber le sentiment de sécurité
Logement et allocations menacés
Au cours des six derniers mois, certain·e·s résident·e·s ont été menacé·e·s de perdre leur logement, construit avec les autorisations appropriées et qu'ils et elles ont souvent construit eux-mêmes. Les expulsions n'ont pas suivi les procédures prévues par le droit indien, qui accordent un délai suffisant aux résident·e·s pour se reloger et leur proposer des solutions de remplacement adéquates en matière de logement ou de travail. Les allocations mensuelles (appelées "maintenances" à Auroville) d'environ 160 résident·e·s ont été supprimées arbitrairement, alors qu'elles étaient nécessaires pour couvrir les dépenses de base.
Dans ce climat de peur et d'insécurité, nombreuses sont les personnes qui n'osent pas élever la voix, car la menace qui pèse sur leurs moyens de subsistance et leur volonté de vivre ici est bien réelle.
Pression sur les visas
Les recommandations de visas, qui relèvent de la responsabilité de la secrétaire de l'AVFO, sont refusées alors que les demandeuses et demandeurs respectent tous les critères requis, ayant souvent vécu des décennies à Auroville sans aucun problème antérieur. Les visas semblent être spécifiquement refusés à celles et ceux qui ont publiquement exprimé leur désaccord avec les mesures prises par l'AVFO. En février 2023, la situation s'est encore aggravée lorsqu'un résident né à Auroville et représentant dûment nommé de la communauté a reçu un "Leave India Notice", apparemment pour avoir parlé de l'état récent des événements à Auroville. En juin 2023, un résident d'Auroville depuis 35 ans et fondateur de l'"Auroville Earth Institute" s'est vu retirer son visa par la secrétaire de l'AVFO - un événement sans précédent dans l'histoire d'Auroville. Aujourd'hui, plus de 200 résident·e·s d'Auroville ont été affecté·e·s par des problèmes de visa.
Des accusations criminelles sont portées sur des bases douteuses
En mai 2022, des plaintes pénales ont été déposées par le sous-secrétaire de la Fondation d'Auroville contre certain·e·s Aurovilien·ne·s qui se sont exprimé·e·s ouvertement contre les actions de l'AVFO, faisant référence à un certain nombre d'accusations non fondées, y compris "émeutes" et "cybercrimes". L'affaire est toujours devant les tribunaux, mais une caution anticipée a été accordée aux Aurovilien.n·e·s accusé·e·s.
La jeunesse comme bouc émissaire
De nombreuses actions destructrices de l'AVFO ont visé les jeunes d'Auroville, à travers la destruction du Centre International de la Jeunesse, l'interruption des allocations mensuelles et des budgets de plusieurs jeunes, ainsi que la diffamation systématique de ces "jeunes". Le Centre International de la Jeunesse et d'autres ont toujours montré leur volonté de collaborer avec toutes les parties, à condition que leurs voix soient entendues et prises en compte.


Nier l'esprit et les valeurs d'Auroville
Cette ingérence globale dans le fonctionnement d'Auroville est contraire à la lettre et à l'esprit des dispositions de l'Auroville Foundation Act, qui promeut et protège la nécessaire autonomie des résident·e·s et leur droit à l'auto-gouvernance, et attend de ses trois autorités constitutionnelles qu'elles travaillent dans un esprit de mutualité. Le 12 août 2022, la Madras High Court a confirmé cet aspect de collaboration mutuelle de l'Auroville Foundation Act ; un jugement a fait l'objet d'un appel de la part de l'AVFO, qui a affirmé à tort devant les tribunaux que les résident·e·s sont des "mécréants" et que le Governing Board "contrôle et gère entièrement les affaires" d'Auroville. Le verdict final n'a pas encore été rendu.
Plus important encore, ces développements, bien qu'imposés par l'AVFO au nom de Sri Aurobindo et de la Mère, sont dramatiquement opposés à leur vision d'unité, de compassion et d'action sur la base d'une collaboration et d'une flexibilité authentiques. Il reste à voir comment la ville sera construite, mais les tendances récentes s'éloignent chaque jour un peu plus du Rêve imaginé par les fondateurs d'Auroville, qui s'épanouit à travers ses résident·e·s.

En bref
Dans la tourmente actuelle, Auroville risque de se transformer en une institution ordinaire du secteur public, avec des systèmes et des processus rigides et obsolètes remplaçant le sol fertile nécessaire à l'expérimentation de nouveaux modes de vie. La gouvernance, la gestion autonome et la vie durable font également partie de l'expérience plus large d'Auroville. De nouvelles méthodes doivent être découvertes et essayées. Cela nécessite une organisation fondée sur un état d'esprit ouvert, souple, expérimental et flexible. La plasticité est l'une des qualités essentielles pour façonner une nouvelle humanité.
Alors qu'Auroville fait face à ces défis sans précédent, la communauté continue d'aspirer à la transformation profonde envisagée par la Mère. Les résident·e·s, qui ont consacré leur vie à la manifestation de ses idéaux, continuent d'appeler à l'aide et au soutien des bienfaitrices et bienfaiteurs en Inde et dans le monde pour sauvegarder et assurer la survie de cette magnifique et inédite aventure qu'est Auroville.

Partie 2
Réponses d'une communauté résiliente
La crise actuelle a mis les Aurovilliens à rude épreuve, soumettant le projet d'Auroville à des risques inégalés. Pourtant, elle a simultanément créé une chance de transformation, permettant de réitérer l'objectif d'Auroville et ses valeurs profondes.
Cette note est suivie d'une deuxième partie, qui vise à réfléchir à la manière dont les habitants ont fait preuve de résilience et d'ingéniosité face à des défis de taille, ce qui leur a permis de continuer à faire progresser la ville conformément à sa charte et à sa vision d'origine.
Pour en savoir plus, cliquez sur le bouton ci-dessous.
(Cette vidéo a été préparée en décembre 2022, plus d'un an après le début de la prise de contrôle forcée et de la destruction au bulldozer d'Auroville).